J’ai rêvé qu’il pleuvait. Il faisait nuit et j’étais à l’arrière d’une voiture.
Les gouttes d’eau sur les vitres transformaient les phares des autres voitures en une multitude de tâches colorées. Le rouge se mélangeait à l’orange, avec quelques touches de vert. Cela se reflétait à l’intérieur.
J’ai rêvé qu’il pleuvait et j’étais à l’arrière d’une voiture. Sous mes doigts, je pouvais sentir l’irrégularité du tissu. Je sentais le froid de la vitre contre ma tête. C’était une vieille voiture. Elle sortait d’un parking et je plaisantais avec le chauffeur. J’étais confortable parce que j’avais l’habitude.
Dans mon rêve, il n’était pas inhabituel que le chauffeur me ramène chez moi, tard le soir. Comme si c’était le rituel après une très longue journée de travail. Il pleuvait et j’observais les mêmes taches de couleurs scintiller sur le pare-brise. Je regardais leurs reflets sur le profil du conducteur. Comme la lumière à travers un vitrail. Je sentais mon cœur se serrer.
Ou est-ce qu’il battait plus vite ?
Il pleuvait et j’étais à l’arrière d’une voiture. Dans mon rêve, je n’avais pas peur. J’étais confortable et le chauffeur répondait à mes blagues. Je le connaissais bien mais je ne pouvais pas dire s’il avait un nom.
J’ai rêvé que j’étais à l’arrière d’une voiture parce que la place du co-pilote était occupé. Ce personnage-là n’était pas le bienvenu. Il n’était même pas bien défini. C’était juste une silhouette grise, trempée et inoffensive. Il pleuvait alors on avait accepté de le raccompagner chez lui mais c’était un intrus dans cette bulle de couleurs. Le détour allait nous mettre en retard. J’étais agacée et je scrutais le visage du conducteur pour savoir s’il ressentait la même chose. S’il n’aurait pas préféré que ce ne soit que lui et moi… Mais il continuait de rire et la voiture continuait de faire des détours.
Je regardais par la fenêtre, toutes les couleurs se mélangeaient un peu plus. Je voulais que l’intrus parte mais même là, dans mon rêve, j’étais trop bien élevée pour le formuler clairement. Mon cœur se serrait un peu plus. Mais plus le voyage se prolongeait et plus une angoisse habituelle remontait : j’allais être en retard. Je n’étais même pas surprise : c’était l’une de mes angoisses habituelles. En le reconnaissant, j’ai commencé à agripper un peu plus le siège, pour me préparer au moment où ça n’allait plus être un rêve mais un cauchemar.
J’ai rêvé qu’il pleuvait et que j’étais dans une voiture qui n’arriverait jamais à destination. Je voyais les flaques à l’extérieur devenir de plus en plus profondes. Chaque passage de voiture déclenchait un rideau d’eau qui s’abattait violemment sur les trottoirs. Je ne sais pas s’il y avait des passants. Après tout, j’étais au chaud, à l’arrière d’une voiture, avec un chauffeur et un passager qui discutaient sans me prêter attention. J’étais à l’arrière d’une voiture et je n’existais plus. J’allais être en retard mais il fallait d’abord emmener le passager à destination. Les autres avant moi.
Est-ce que c’était un cauchemar finalement ? Est-ce que les couleurs de la circulation allaient laisser place au gris de l’orage ? Je sentais la panique monter quand, je ne sais pas comment c’était physiquement possible, le chauffeur m’a enlacée. J’ai senti ses lèvres sur le haut de mon crâne, j’ai entendu ses mots rassurants et mon cœur a loupé un battement. Peut-être que lui aussi, il voulait laisser tomber le passager. Peut-être que lui aussi, il voulait recréer la bulle. Que ce ne soit plus que lui et moi.
J’ai rêvé que j’étais dans une voiture mais que je restais la priorité du conducteur. Je me rappelle avoir pensé « oh, peut-être qu’il m’aime aussi », juste après que ses lèvres se soient éloignées de mon crâne. Et alors que la voiture continuait ses détours, je me suis mise à regarder le décor en me disant que lorsque l’on arriverait à destination, j’allais peut-être l’embrasser. Ou même mieux, j’allais lui demander de m’embrasser.
La nuit dernière, j’ai rêvé qu’il pleuvait et qu’entre les gouttelettes de pluie, je me remettais à espérer. J’ai rêvé qu’on était venu me chercher et qu’à la lumière d’un autre détour dans des rues baignées de reflets multicolores, je tombais amoureuse.
Et lorsque je me suis réveillée, le lendemain matin, la pluie s’était arrêtée.