J’ai grandi près de la mer et je ne m’en suis rendue compte que lorsque j’ai déménagé à plusieurs centaines de kilomètres d’elle. J’ai grandi près de la mer mais je ne l’ai compris que lorsque la mer est devenue un fleuve, bordé de berges et de péniches. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai réalisé qu’en fait, j’avais passé 20 ans de ma vie à 20 minutes de la Mer. Si je l’avais voulu, si je m’étais aventurée hors de la bulle protectrice, j’aurais pu, tous les matins, me rendre sur la plage de galets qui faisait rêver le Monde. Entier. Mais je l’ignorais. Alors quand l’été arrivait et que de mon balcon, je pouvais sentir cette odeur mélangeant l’ambre solaire et le sel de la Méditerranée, je ne pensais pas à la mer.
Parce qu’elle était si proche, je pouvais même me permettre d’être indifférente. Je la voyais sans la voir, du plus haut étage de mon université. Je la voyais comme une carte postale, comme une image mouvante lorsque j’empruntais la route du littoral pour aller travailler. Comme un tableau, qui avait forcément plus de contrastes parce que la couleur venait de mes yeux fascinés. Mais je ne la voyais pas comme quelque chose dont je pouvais profiter.
L’enfant, la mer, la réalité et l’imaginaire
Parce que nous n’étions pas très fans des galets, je me souviens des départs matinaux, les dimanches de juillet et d’août, pour réserver une place sur la seule étendue de sable, qui se trouvait à des dizaines de kilomètres. Je restais au bord, là où j’avais encore pieds. Je me souviens de ce tee-shirt qui me collait à la peau, pour protéger ma peau de bébé des rayons UV. Le bruit d’une balle contre une surface dure. Je me souviens des jeux de raquettes dont je n’ai percé le secret que 15 ans plus tard. Ces images-là sont baignées de soleil, imprimées et parfumées au sucre des pralines des vendeurs ambulants.
Une autre image plus sombre me revient en tête. Nous étions sur une plage de galets mais pas celle qui se trouve à 20 minutes de chez moi. Il faisait orageux. Peut-être que c’était une fin de journée parce que les vagues me semblaient agitées. J’étais avec ma famille et des amis. Je portais ces sandales horribles en plastique transparent qui alourdissent le pied et capturent les plus petits cailloux. Sous la surveillance de ma sœur, je me trouvais au bord de l’eau, en train de chercher des coquillages. Je me racontais des histoires pour combler cette solitude. Je ne me rappelle pas tous les détails. La seconde d’avant, je cherchais des pierres précieuses et celle d’après, j’avais été engloutie par les vagues.
J’étais au fond de l’eau et je cherchais à avancer.
Et c’est là que je l’ai vu : un requin.
Il était juste en face de moi et j’ai pris peur. J’ai cherché à remonter à la surface et ma main a réussi à sortir de l’eau. C’est ma mère qui a attrapé mon bras pour me ramener sur le rivage. J’étais sonnée et je ne comprenais pas ce qui venait d’arriver. Avec aussi peu de profondeur, il était impossible que ce que j’ai vu ait été la réalité. Aujourd’hui, lorsque je parle de cette histoire, personne ne s’en souvient. Si bien que je me demande si c’est vraiment arrivé. Peut-être qu’il s’agissait là de mon tout premier rêve lié à la mer.
L’enfant, la mer et les créatures des profondeurs
Je rêve souvent de la mer et surtout de ce qu’elle cache. Sans doute pour me tourmenter encore plus mais mes rêves portent souvent sur une distance à parcourir. Partant d’un point A, je dois rejoindre le point B. Et évidemment, une grande partie du trajet doit se faire à la nage. Que ce soit clair, je ne suis pas une grande nageuse. En fait, avant de plonger dans la piscine de mon université lors de ma dernière année de licence, j’étais persuadée que je ne savais pas nager (alors que oui, mais très mal et préférablement dans un liquide qui aide à flotter).
Mon subconscient s’est habitué à cette idée et tend à l’exploiter un maximum. En début d’année, j’ai recommencé à rêver régulièrement de la mer. Elle était agitée et je devais la combattre pour rejoindre la maison. Je longeais les côtes, évitais les rochers pour atteindre la plage.
Je buvais la tasse, j’étouffais, j’avais envie de me laisser porter, d’abandonner.
Mais je persistais à avancer. J’avais mon objectif en tête. Lorsque j’arrivais sur le sable, et cela, sans transition entre le liquide et la terre ferme, je pouvais voir dans l’écume des vagues les silhouettes des requins, dauphins et autres orques qui guettaient. Mais personne ne semblait s’en soucier. Tout le monde semblait heureux sur le sable, sans me voir.
Au fur et à mesure des semaines, la distance que je devais parcourir dans l’eau se réduisait. Des portions entières se faisaient désormais en voiture, mais sans direction définie. L’objectif n’était plus la plage. Il fallait juste continuer à avancer, à se perdre, à fuir. Dans ces moments-là, j’étais de retour en enfance. Lorsque nous partions avec mes parents sur les routes et que notre itinéraire se construisait à chaque embranchement. Fallait-il aller à gauche ? Ou à droite ? Tout droit jusqu’au matin ? Plus les semaines passaient et moins la mer me faisait peur. Plus le sens de l’aventure revenait… Je ne voyais plus ce qu’elle cachait. Je ne m’en inquiétais plus.
L’enfant et le rêve de la semaine passée
J’ai rêvé de la mer la semaine dernière et c’est plutôt bon signe. Parce qu’elle n’était ni agitée, ni menaçante. Elle scintillait. J’ai rêvé de la mer au crépuscule et cela ressemblait à la magie. Comme si j’avais sorti mes plus beaux pastels, que j’avais fermé les yeux et que la toile m’avait parlée. J’ai rêvé d’un crépuscule coloré où les créatures qui alimentaient mes angoisses s’unissaient et m’accueillaient alors que je revenais au bercail. Toute la surface de la Mer scintillait. Enfin, j’étais de retour à la maison. J’étais sur le siège passager, la fenêtre ouverte, la main tendue, à attraper le vent. Je regardais ce spectacle avec l’impression de pouvoir respirer pour la première fois depuis des mois. Je ne me noyais plus. Apaisée, je me suis tournée vers le conducteur pour lui partager ma joie.
Mes yeux se sont ouverts.
Lorsque je me suis réveillée, dans la pénombre orangée de ma chambre, j’ai senti l’ambre solaire.