Savoir que ça allait faire mal (et n’avoir rien sous contrôle)

Cry me a river for 2022

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« Je sors d’une relation de 10 ans et là, on est plutôt en période de hotfix ». Nous sommes dans un magasin de babioles en train de regarder des objets improbables lorsqu’il me dit ça. Sous prétexte de regarder des articles sur ma droite, je me tourne. Il ne verra pas mais je prends une inspiration. Toujours sans le regarder, je demande : « et tu veux que ça marche ? ». Il ne fait même pas mine d’hésiter : « Oui. Mais je crois que je suis le seul à le vouloir ».

Le subtexte et le contexte

Lorsqu’une heure plus tôt, il était venu me voir pour me proposer un moment juste nous deux, je ne m’attendais pas à ce qu’il mette fin à quatre mois de romance. En fait, j’étais même plutôt optimiste. Il avait toujours prétendu être célibataire et petit à petit, devenait même de plus en plus tactile. Quelques semaines plus tôt, je lui avais dit que si les rumeurs et les blagues à notre sujet avaient un petit peu de vrai, je ne serais pas contre. A cet instant-là, dans la nuit et dans le froid, alors que je tremblais de stress, je n’avais pas été rejetée. Il avait continué à me traiter de la même manière, ponctuant certains de ses messages de petits cœurs rouges.

Sans se rendre compte que je suis en train de remettre en question tous les événements de ces dernières semaines (est-ce que j’avais été la seule à tomber doucement amoureuse ?), il continue à dépeindre la situation. Il n’est pas heureux, presque misérable, il a l’impression de devenir quelqu’un d’autre, de vivre en collocation mais il passera les fêtes avec la famille de sa copine.

Nous sommes désormais attablés avec un café et un chocolat chaud. Il me dit qu’il avait besoin d’en parler à quelqu’un et que comme je suis la personne la plus proche de lui actuellement, c’est tombé sur moi. Parce qu’il espère qu’on restera amis sur le long terme.

Il y a un mois, il me disait qu’il m’adorait et voyait bien qu’on puisse être très proches dans le futur. Il y a deux semaines, dans un bar, il me regardait avec des étoiles dans les yeux alors que je lui exposais mon avis sur qui était le meilleur Spider-Man. Sur le chemin du retour, il m’avait bousculée gentiment, dans une action que j’avais pris pour du flirt. Alors qu’il parle, je me dis qu’à ce moment-là, alors que j’avais l’impression de vivre une romance, il n’était pas aussi libre que ce qu’il avait affirmé.

Le prétexte et le surtexte

Je pense à ce cadeau de Noël dans mon placard que je voulais utiliser pour déclarer mes sentiments. Je pense à toutes les fois où je lui ai proposé qu’on se voit le week-end, aux messages qu’on s’envoyait après le travail et dont on ne parlait pas. Je pense également aux fois où je lui avais dit de me repousser si j’allais trop loin, parce que le consentement, c’est important.

Il est gêné, presqu’au bord des larmes : « J’espère pouvoir sortir de cette histoire en 2022. Là, tout ce que j’ai envie de faire, c’est partir au Tibet. Mais tu viendrais avec moi ? ». Je souris, tente une blague : « si tu me paies le voyage, pourquoi pas ? ».

J’aurais pu répondre qu’il devait choisir.

J’aurais pu répondre que je me sentais stupide, là, avec mon chocolat chaud.

J’aurais pu répondre que j’allais encore me faire des idées.

Mais en cet instant, j’avais choisi d’être l’oreille attentive qu’il avait besoin. Il était en train de me briser le cœur mais il avait choisi de me laisser voir une autre facette de lui. Alors, j’ai gardé le sourire et j’ai pris ce qu’il m’offrait. Je me suis dit que j’allais devoir lâcher prise parce que ça fait mal. Mais même si je pleure toutes les larmes de mon corps lorsque je rentre chez moi, je ne peux pas m’empêcher de penser : il a dit qu’il voulait tout arrêter en 2022.

Le lendemain, il redouble d’attention, me touche, me parle en privé. J’ai l’impression d’être engagée dans un manège dont je ne peux pas descendre. Il me fait du mal mais je ne peux pas lui en faire. Lors du repas du midi, alors que je me dirige vers l’autre bout de la table pour prendre mes distances, il me regarde et me demande « bah, on se met où pour manger ? » alors je reprends ma place à côté de lui. Le soir, il me retient plus tard au bureau pour parler de la timeline des SpiderMan si les spoilers s’avèrent vrais. A un moment, en riant, je pose ma tête sur son épaule. Ça ne dure que quelques microsecondes mais c’est assez pour que je me sente coupable (dans ma tête, j’entends « j’espère que j’arriverais à m’en sortir en 2022 »). Je sais que cela va faire mal quand tout va s’arrêter.

La conclusion du texte

La semaine suivante, alors que nous sommes en pause, le discours n’est plus tout à fait le même. Il dit : « ça dépendra de ma situation sentimentale en 2022 ». Je me rends compte que j’ai déjà entendu ça, avant, avec quelqu’un d’autre et je comprends. Il ne va pas rompre. Le midi, le dernier repas de l’année avec lui, l’angoisse monte et je me retrouve à vomir dans un buisson, dans une ruelle. Il ne lui faut que quelques minutes pour apparaître à mes côtés. « Ça ne va pas être glamour », je le préviens. « Ce n’est pas grave, quand tu tiens aux gens, ce n’est pas grave », il répond. Je veux qu’il reste, qu’il me prouve que je suis importante. Je veux qu’il parte, qu’il aille flirter avec d’autres personnes. Parce qu’à ce moment, mon cœur fait de nouveau boum. Il ne va pas rompre.

« J’avais acheté ça avant de savoir pour le Tibet alors maintenant, je me sens un peu bête ». Je lui tends le cadeau. Il ne comprend pas ce que je veux dire ou peut-être que oui. J’essaie de mieux verbaliser mais je n’y arrive pas. J’ai peur, de trop m’exposer, pour rien. Je me félicite de ne pas avoir pleuré. Lorsqu’on se sépare, c’est moi qui tente : « rapprochement physique ou pas ? Je remets mon masque ». Il rigole et me prend dans ses bras. Il me serre contre lui deux fois avant de lâcher prise : « Attention, tu as les yeux rouges ». Je fais mine de fuir. On se dit au revoir et alors que je vais pour partir, il me rappelle : « on ne s’est pas souhaité les vœux ! ». Je retourne dans ses bras. C’est rapide et je me détourne une nouvelle fois. Ça fait mal mais je m’y attendais.

La compréhension du texte

Je n’arrive pas spécialement à couper les ponts parce que moi aussi, ça fait longtemps que je n’ai pas ressenti ça. Je ne suis pas douée pour lâcher prise. Lorsqu’on fait le bilan des fêtes, il me dit que ça ne s’est pas si mal passé que ça (je pense : il ne va pas rompre) et me raconte ses péripéties en utilisant « on ». Il reprend toutes les anciennes blagues mais cette fois, elles me donnent envie de vomir. Dans nos réunions, je guette les bruits de fonds de son côté et je me dis que j’entends quelqu’un d’autre au loin. Je suis jalouse et je déteste ça.

Alors je repense à tous ces signes que je n’ai pas voulu voir. Toutes les fois où je lui proposais des activités le week-end et qu’il était occupé (« peut-être qu’un jour, j’accepterais »). Une fois, lors de nos calls du soir, lorsque je lui ai proposé qu’on fasse un truc tous les deux et qu’il a dit « non » avant de se réfugier derrière une blague. Aux messages du week-end qui n’étaient pas lus mais sur lesquels il réagissait dès la première heure, la semaine suivante. Peut-être que j’aurais dû savoir que ça allait faire mal la première fois où je l’ai vu. Ou même, la première fois où il m’a effleuré l’épaule et je l’ai senti dans tout mon corps…

Il va falloir que j’apprenne à lâcher prise parce que je n’ai qu’une seule conviction. Il ne va pas rompre en 2022. Alors, de mon côté, il va falloir que je ramasse les morceaux de 2021 et que je ré-assemble le puzzle pour que la nouvelle année ait de nouveaux trucs à casser.

2022, à toi de jouer.

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